Savoir anticiper pour ne pas subir

Mercedes Erra, Présidente et fondatrice de BETC groupe et Jean-Christophe Fromantin, Délégué général d’Anticipations, chercheur associé à la chaire ETI-IAE de l’université Panthéon-Sorbonne. Tribune publiée dans Les Echos le 7 novembre 2023.

L’actualité montre que la vitesse de diffusion des informations –vraies ou fausses – peut faire basculer les équilibres. La linéarité des processus socioéconomiques n’est plus si évidente ; les émotions associées à la vitesse des algorithmes remettent en cause les extrapolations que nous établissions à partir d’hypothèses que nous pensions robustes. Or, si les modèles sont de moins en moins linéaires et si les hasards deviennent sauvages, la question des fondements sur lesquels nous pouvons dorénavant anticiper se pose avec acuité.

D’aucuns misent sur l’intelligence prédictive qui, en faisant converger des données statistiques et l’intelligence artificielle, permet d’anticiper les évolutions. Là encore, l’hypothèse se construit dans une configuration stable et continue puisque l’intelligence prédictive ne se base que sur des données et des enchainements éprouvés. L’adage, « les mêmes causes produisent les mêmes effets », s’emballe alors à des puissances de calcul stratosphériques sur des centaines de milliards de paramètres. Tels les moutons de Panurge de Rabelais, anticiper en se basant sur l’intelligence prédictive risque ainsi de nous embarquer dans des enchainements et des reproductions dont les effets nous échapperont.

L’approche prédictive est à la fois continuiste et biaisée en ce qu’elle se base sur le passé et accentue les tendances. Une autre approche consiste à considérer l’intelligence prédictive, non pas comme un vecteur d’anticipation, mais comme un nouveau processus d’industrialisation. Cela revient à postuler que l’anticipation procède davantage de l’évolution de nos comportements, forts des gains d’efficacité que ces technologies nous procurent, que de la gestion d’un système de reproduction accéléré.

Keynes prédisait un temps de travail de quinze heures en 2030 ; on estime aujourd’hui que le temps de travail rémunéré ne représentera plus que 10% de notre existence à ce même horizon (contre 70% au milieu du XIXe siècle). Que ferons-nous du reste du temps ? Pour avancer sur cette question, l’anticipation mérite que nous nous libérions des modèles mathématiques et que nous réinterrogions les sciences humaines.

Comme le rappelait l’économiste Christian de Boissieu lors du cycle Anticipations 2023, la compréhension de scenarios économiques d’avenir appelle à ce que nous échangions avec les historiens, les géographes ou les sociologues afin d’intégrer la non-linéarité des processus que nous vivons. C’est aussi vers quoi tendait le philosophe des sciences Bruno Latour quand il appelait à réinterroger nos terrains de vie au sens fondamental du terme (Où atterrir, 2017)  ; c’est la même question que pose le sociologue Hartmut Rosa (Résonance, 2018) quand il rappelle que nos comportements procèdent d’un équilibre entre une part sociale, une part matérielle et une part métaphysique, et nous met en garde sur notre perte de résonance au profit d’une hypermatérialité dont les algorithmes accentuent la pression. Là réside sans doute le quiproquo entre l’extrapolation et l’anticipation : l’un mise sur l’accélération des modèles dans une hypothèse continuiste ; l’autre intègre la complexité de l’être humain dans un schéma discontinuiste.

C’est aussi la confusion entre les notions d’innovation et le progrès : l’une est construite sur la seule technique ; l’autre met en perspective le sens de la vie. Les crises que nous vivons procèdent de ces tensions entre des accélérations difficilement maitrisables et une recherche d’authenticité dont on perçoit de plus en plus les signaux. Il est intéressant de voir comment nos comportements incarnent ces tensions : entre les phénomènes paradoxaux de fast fashion et de seconde main ; dans le conflit entre une réalité métropolitaine et l’aspiration profonde des 18-35 ans à vivre dans un village ou une ville moyenne ; entre nos prises de conscience des enjeux environnementaux et nos difficultés à changer nos comportements.

Nos approches stratégiques devront de plus en plus s’extraire de la linéarité des modèles pour s’intéresser aux valeurs socles qui fondent nos comportements. Car, bien que nous soyons prompts à maîtriser le temps court ou le temps long grâce aux technologies, c’est bien dans l’appréhension du temps large avec sa part irrationnelle que se dessinera l’avenir.

Séquence Ontologie

Ce terme fait référence à un domaine de la philosophie qui traite de la question de l’être. L’ontologie invite à s’interroger sur le temps, le devenir, le sens de l’existence ou au contraire sur son caractère absurde. Vaste sujet, que l’on ne peut évidemment pas embrasser quelques heures…

Nous avons choisi trois explorations autour de la santé mentale des populations à travers le monde, de notre relation à la Terre en s’appuyant sur les travaux de Bruno Latour, et enfin de l’impact que peut avoir l’arrivée de l’intelligence artificielle (IA) dans l’éducation, les peurs et les espoirs qu’elle peut générer, les limites à envisager pour que l’IA soit au service des élèves, de leur éducation.

THÈMES TRAITÉS ET LES INTERVENANTS

Présentation et discussion autour de l’étude Prosumer® « Mental Health », menée par BETC dans 30 pays du monde

Adrien FORTABAT, directeur de la Stratégie de BETC Corporate

Jean-Christophe FROMANTIN, maire, chercheur-associé Chaire ETI-Paris-Sorbonne

Explorations des travaux de Bruno Latour, « Où atterrir ? »

Veronica CALVO-VALENZUELA, anthropologue, docteure de l’Institut d’Études Politiques de Paris

L’École avec ou sans IA ?

Guillaume LEBOUCHER, chief data officer. Fondateur de la Fondation « L’IA pour l’école »

Marguerite LENA, philosophe

Pour aller plus loin, découvrez la tribune : Education : avec ou sans l’IA ? Par Jean-Christophe Fromantin, Délégué général d’Anticipations, Chercheur-associé IAE-ETI-Paris-Sorbonne, Marguerite Léna, philosophe, Guillaume Leboucher, Chief Data Officer, Fondation IA pour l’école. Article publié dans Les Echos le 7 février 2024.

Séquence technologie

Cette séquence explore trois univers, chacun en profonde mutation. Elle aborde les nouveaux défis de la mobilité, entre objectifs de décarbonation et préservation des libertés de rencontre, de déplacement.  Les cryptomonnaies sont le deuxième champ d’exploration : ouvrent-elles la voie d’une révolution dans les échanges et les transactions ?

La troisième session va au cœur des nouvelles promesses de l’intelligence artificielle générative. Vers où/ vers quoi nous entrainent ces nouvelles technologies ? Quel monde pouvons-nous raisonnablement anticiper ? Quelles nouvelles disruptions sont d’ores et déjà prévisibles et quels secteurs vont-elles le plus impacter ? Comment se préparer à ces bouleversements ? Cet atelier explore les principales applications liées aux innovations à venir et approche les questions éthiques – notamment celles liées aux libertés -, sociales, sociétales dont l’influence pourrait infléchir certaines perspectives technologiques.

THÈMES TRAITÉS ET LES INTERVENANTS

Aller où et comment ? Prospective sur les lieux de vie des années à venir et les mobilités.

Thierry BOLLORE, ex-dirigeant du groupe Renault et de Jaguar Land Rover

Bernard ATTALI, conseiller maître honoraire à la Cour des comptes et ancien délégué à la DATAR

Crypto-(monnaies), révolution ou désillusion ?

Philippe DARDIER, banquier d’affaires, spécialiste de la fintech, de la deeptech, de la blockchain et des crypto-monnaies

Intelligence artificielle générative, quelle feuille de route pour la France ?

Cyprien CANIVENC, rapporteur général auprès du Premier ministre du Comité de l’intelligence artificielle générative

Pour aller plus loin, découvrez la tribune : Crise de l’immobilier : aller où et comment. Par Bernard Attali, conseiller maître honoraire à la Cour des comptes et ancien délégué à la Datar, Thierry Bolloré, ex-dirigeant du groupe Renault et de Jaguar Land Rover, Jean-Christophe Fromantin, délégué général Anticipations. Cette tribune a été publiée dans Les Echos le 19 mars 2024.

Trois explorations dans trois domaines différents, chacun fortement impacté par des transformations en cours. Dans un premier temps nous nous interrogeons sur la création de valeur demain, dans un monde occidental – et particulièrement l’Europe – marqué par des changements démographiques majeurs, une nouvelle relation au travail, dans un contexte géopolitique qui se tend et pèse de plus en plus sur l’environnement économique.

Séquence modèles économiques

Trois explorations dans trois domaines différents, chacun fortement impacté par des transformations en cours. Dans un premier temps nous nous interrogeons sur la création de valeur demain, dans un monde occidental – et particulièrement l’Europe – marqué par des changements démographiques majeurs, une nouvelle relation au travail, dans un contexte géopolitique qui se tend et pèse de plus en plus sur l’environnement économique.

La deuxième intervention porte un regard sur les transformations des habitudes de consommation à travers l’expérience d’un acteur international et omnicanal du commerce : le groupe Les Galeries Lafayette. La troisième exploration touche notre modèle social, hérité des modèles économiques dominants du XXe siècle et agité par des crises de plus en plus fréquentes. Quelles sont les adaptations auxquelles on peut s’attendre à l’aune des transformations majeures de nos modèles économiques et des changements sociétaux ?

LES THEMES TRAITES ET LES INTERVENANTS

La création de valeur demain : sommes-nous à l’aube d’un nouveau cycle ?

Renaud DONNEDIEU DE VABRES, ancien ministre de la culture et de la communication

Geoffroy ROUX DE BEZIEUX, ancien président de Medef

Consommation, distribution, quelles tendances ?

Alix MORABITO, directrice des achats et du merchandising, mode femme, enfant Galeries Lafayette

Nouveaux modèles économiques, nouveau modèle social ?

Jean-François GUILLOT, président de Cardinale sud, experts en Qualité Sociale®

Pour aller plus loin, découvrez la tribune « Pas de modèles économiques sans valeurs » Par Renaud Donnedieu de Vabres, Jean-Christophe Fromantin, Geoffroy Roux de Bézieux. Article publié dans La Tribune, le 5 avril 2024.

Séquence Géopolitique

Dans un contexte de fortes tensions internationales, qui peuvent en quelques heures bouleverser les équilibres mondiaux, cette session analyse plusieurs sujets critiques en mêlant perspectives géographiques et sectorielles.

Moyen-Orient, Amérique Latine, Russie, Ukraine, Arménie, énergie, matières premières, désinformation…, ces explorations animées par des intervenants d’exception mettent en évidence l’extrême complexité des situations. Elles anticipent des futurs possibles, des transformations profondes et interrogent nos consciences sur les valeurs et les principes que nous souhaitons dans le monde de demain.

LES THEMES TRAITES ET LES INTERVENANTS

La géopolitique en mode fractal : regards du Moyen-Orient et d’Amérique Latine

Bertrand BESANCENOT, diplomate, ancien ambassadeur de France au Qatar et en Arabie Saoudite

Florence PINOT DE VILLECHENON, professeure émérite à ESCP Business School et directrice académique Amérique latine

Le retour des Empires ? 

Antoine ARJAKOVSKY, historien, spécialiste de l’Ukraine et de la Russie

S.E. Madame Hasmik TOLMAJIAN, ambassadrice de la République d’Arménie en France

Désinformation : quels enjeux, quelles menaces, quelle défense ?

Marc-Antoine BRILLANT, directeur de Viginum

Christophe SCHMIDT, journaliste de l’AFP

Quand l’énergie revisite la géopolitique

Professeur Philippe CHALMIN, expert des matières premières

Pierre GADONNEIX, ancien PDG d’EDF

Pour aller plus loin, découvrez la tribune : « Energie : s’inspirer des leçons des chocs pétroliers ». Article publié dans les Echos le 13 mai 2024. Par Philippe Chalmin, Professeur à l’Université Paris-Dauphine, fondateur de Cyclope ; Jean-Christophe Fromantin, délégué général d’Anticipations, Pierre Gadonneix, président de Rexecode.